SŒUR AIMEE DE JESUS (1839-1874)
ou l’amour passionné du Seigneur

« Mon Dieu,
combien je vous remercie
de m’avoir donné
une âme amoureuse
de Vous. »
Ces paroles de Sœur Aimée la définissent tout entière, car le caractère particulier de sa sainteté est bien un amour ardent, passionné pour la Personne de Notre Seigneur. Toute petite fille, elle a déjà les yeux fixés sur Lui ; sa mère, une vraie sainte, lui enseigne à l’imiter en toutes ses actions. Ce sera toute sa vie : Imiter Jésus pour être unie à Lui et transformée en Lui.
« La conformité de pensées et de sentiments, que malgré mon indignité, j’étais appelée à avoir avec Jésus, écrit-elle, Il les prépara et les facilita en quelque sorte en rapprochant ma condition de la sienne. Comme Lui je suis née pauvre. Le Rozel (près de Cherbourg), était un autre Bethléem et notre cabane ressemblait assez à une étable, toit de chaume, terre battue… Une pauvre petite couchette me tint lieu de berceau. Mal défendue des rigueurs de l’hiver – c’était en janvier – je faillis mourir en commençant de vivre. »
Autobiographie
Madame Quoniam apprend à sa petite Dorothée à prononcer d’abord le nom de Jésus. Un jour l’enfant est frappée d’entendre appeler Dieu le Très Haut. « Le Très Haut ! répétai-je en regardant le Ciel. Que je suis petite ! » et dans une vision de la Très Sainte Trinité, le Père la fiance à son Fils. Elle a quatre ans. Dès lors elle obtient la permission de s’entretenir quotidiennement deux heures durant avec Celui qu’elle ne nommera plus que son Bien-Aimé, et elle lui parle en chantant presque tout le jour. Désormais, voir Jésus aimé, le faire aimer est son seul souci. Plus tard, elle exhorte les pauvres à qui elle fait l’aumône, elle groupe autour d’elle les enfants de sa classe et leur parle de Jésus.

Le Seigneur, jaloux de posséder entièrement son cœur, va d’abord la couper d’avec le cadre familier de son enfance, qu’elle a aimé, puis creuser autour d’elle le vide de toutes les affections terrestres. Dans l’espoir de trouver des conditions de vie meilleures, la famille Quoniam s’installe à Paris ; et c’est dans une mansarde d’un huitième étage… La misère y devient l’inséparable compagne, plus cruelle encore qu’au Rozel, où au moins il y avait de l’air et de l’espace. Dorothée connaît, en compagnie de sa mère, l’attente interminable aux bureaux de bienfaisance, la soupe des pauvres. Un petit frère meurt presque à sa naissance, puis son frère Maurice (10 ans), surnommé « le petit saint. » L’admirable Madame Quoniam est minée par la tuberculose ainsi que son mari, et Dorothée doit remplacer sa mère pour tenir la maison et faire les commissions. « Quand après avoir marché pendant deux heures sous des torrents de pluie ou des flocons de neige, écrit-elle, en parlant de cette époque, poussée çà et là par un vent glacial ou pénétrée par un froid rigoureux, quand après avoir gravi nos huit étages avec mon fardeau, j’entrais enfin dans notre mansarde, encore assombrie par les glaçons qui couvraient les vitres, que je m’approchais du lit de ma mère, que je la considérais dans un complet dénuement, non, son sourire et ses paroles ne me suffisaient pas, votre seul regard, ô Jésus, pouvait en rencontrant mes yeux me faire dévorer mes larmes. » L’enfant devait connaître toutes les tristesses, toutes les amertumes : la mort de sa mère, celle de son père à l’hôpital, puis de sa petite sœur et enfin du dernier frère qui lui restait. Notre Seigneur lui a tout pris, mais désormais Il est tout pour elle. « Depuis lors, dit-elle, je me tins prête à toute douleur possible, j’avais compris que Jésus m’aimait comme son Père l’avait aimé. »

Dorothée à l’orphelinat des filles de la Charité de Saint Roch
Pauvreté de Bethléem, souffrances de l’exil, car ce fut bien un exil que cet exode dans la capitale, voici maintenant la vie cachée de Nazareth, à l’orphelinat des Filles de la Charité de Saint Roch où est recueillie la jeune Dorothée. Là, Jésus continue d’être son modèle. Il lui apparaît au même age que le sien et elle se réjouit de Le voir grandir avec elle. Une telle intimité a ses exigences de dépouillement, de détachement des créatures qui lui suscitent de rudes combats. « Qu’elles sont donc heureuses celles qui peuvent s’amuser à leur gré », soupire la petite fille, et s’adressant à Jésus : « Quelle jeunesse vous me faites passer ! » Car sa nature avide de plaisir, aimait la société, aurait cherché à plaire. Au jeu, elle est si ardente qu’en un jour elle use la semelle de ses souliers. Mais l’amour passionné de Jésus la possède de telle sorte qu’Il annihilera peu à peu en elle toute résistance à la grâce. « Je sens dans mon cœur un besoin immense d’aimer, ce besoin me dévore » dit-elle. Son amour pour Jésus ne lui permet pas de s’appliquer habituellement à un autre objet. Aussi le Carmel lui paraît seul capable de combler ses aspirations.
« Oui, il me faut le Carmel, s’écrie-t-elle, le Carmel avec sa virginité, son apostolat, son martyre, le Carmel avec son amour singulier pour la personne de Notre Seigneur et son culte de la Très Sainte Vierge. » Sur l’indication même de Jésus, c’est au monastère de l’avenue de Saxe qu’elle entre, malgré tous les obstacles, le 27 août 1859, en la fête de la Transverbération du cœur de sainte Thérèse. Elle s’appellera désormais Sœur Aimée de Jésus.

Le cloître du Carmel de l’Avenue de Saxe
La croix indique la cellule occupée par Soeur Marie-Aimée
Après Nazareth, le Carmel est pour elle le désert, la solitude avec Jésus, le silence. Dans cette solitude, Notre Seigneur Lui-même sera jaloux de la garder, car du côté de ses rapports avec ses sœurs, avec sa Prieure, avec sa Maîtresse, elle rencontre, par une permission divine, plus de souffrances que de satisfactions. Bientôt la maladie l’isole de la vie de communauté. « Il n’y a pas de plus grand bonheur ici-bas, écrit-elle, que celui de souffrir au fond d’une cellule, des jours, des mois, des années, sans autre témoin, sans autre remède, sans autre consolateur que Jésus. Ce n’est pas la nature qui dit cela, mais ce n’en est pas moins la vérité. »

De la part de Dieu, elle éprouve tentations, angoisses. Mais son ardent amour la soutient, amour qu’elle exprime dans ce « Pacte avec Jésus » fait le 18 avril 1861, jour de sa profession. « Je ne veux pas, de toute ma volonté, écrit-elle, que l’épouse d’un mortel me serve de modèle, et à plus forte raison me surpasse en l’amour que je dois porter à mon Seigneur Jésus-Christ, non plus que dans les preuves que je dois Lui en donner, et je les défie toutes. » De son côté, Jésus la gratifie d’une lumière éblouissante sur son Ame sainte, « sanctuaire, exemplaire, supplément des vrais adorateurs « « Comme sanctuaire, écrit sœur Aimée, je me retire en Elle, comme exemplaire je l’étudie et m’efforce de l’imiter, comme supplément je l’offre à la Divinité. »
Cette révélation de l’Ame sainte va attiser en elle un amour de plus en plus ardent de la personne du Sauveur. « J’ai pris la résolution de L’aimer à moi seule comme aurait dû L’aimer toutes les créatures si elles avaient répondu à son amour » note-t-elle après une retraite, et dans son ardeur elle s’écrie : « Au Ciel, au Ciel, c’est le cri de mon âme, c’est un cri perçant, c’est un cri qui m’arrache des larmes ! C’est, je l’espère, un cri qui ne tardera pas à réveiller Celui que j’aime et qui l’empêchera d’être heureux au Paradis sans moi. » Sa seule aspiration est d’être possédée de l’amour de Jésus, aspiration qu’elle traduit ainsi : « Mon Dieu, remplissez tellement mon intelligence qu’il n’y ait plus de place pour aucune pensée terrestre ; remplissez tellement ma mémoire qu’il n’y ait plus de place pour aucune affection et passion terrestre. »
Cet amour, l’occasion lui est bientôt donnée d’en témoigner publiquement pour ainsi dire. En 1863 paraît le fameux livre de Renan, La vie de Jésus. Blessée dans son amour d’épouse, Sœur Aimée rentrant ce soir là dans sa pauvre cellule, prend une feuille de papier, écrit le premier verset de l’Evangile de saint Jean : « Au commencement était le Verbe », et à la suite, affirme et développe la divinité du Christ. Mais saisie par l’inspiration divine, les pages succédant aux pages, les lumières aux lumières, l’humble religieuse s’effraie, consulte son directeur, qui reconnaissant à l’élévation des pensées et à la sûreté de la doctrine l’œuvre de l’Esprit Saint, lui enjoint de continuer avec le consentement de sa Prieure.
Désormais elle épuise toutes ses forces à cette œuvre écrite dans des conditions particulièrement difficiles, puisque la communauté doit l’ignorer. Dans une cellule glacée en hiver, étouffante en été, elle écrit jusqu’à en défaillir. Sa prieure effrayée de son état physique et craignant de la voir succomber à la tâche, lui ordonne de consulter le sage religieux à qui elle s’est confiée, pour savoir si elle doit poursuivre. La réponse vient ainsi rédigée : « Il est conforme aux plans suivis par Dieu, que votre œuvre soit conçue et enfantée dans la douleur, et qu’elle doive sa vie et le gage de sa durée à la mort de celle dont Il s’est servi pour lui donner le jour. » Que l’œuvre vienne de Dieu, le témoignage de Sœur Aimée le confirme assez : « Je n’ai eu ordinairement qu’à me présenter devant sa majesté pour être aussitôt remplie de ce que je devais écrire, et souvent garder en mon âme le plus considérable et le meilleur… Le plus ordinairement, lorsque mon état ne me permettait pas de penser raisonnablement à prendre la plume, je n’avais qu’à faire l’effort exigé par ce surcroît de souffrances pour les voir me quitter immédiatement. »
En se mettant à cet ouvrage, Sœur Aimée ignorait tout à fait les proportions qu’il devait avoir : un seul cahier, pensait-elle y suffirait. Or, cela ne suffit même pas pour une seule partie de cette œuvre qui en comptera six. 1°) La Vie du Verbe dans le sein de son Père et dans le sein de Marie. 2°) La Vie cachée. 3°) Jésus au désert. 4°) La Vie publique. 5°) La Passion. 6°) La Vie glorieuse. La plus originale des six est sans doute la troisième, » Jésus au désert » développant les adorations de l’Ame du Christ en face de chacun des attributs divins. Le but poursuivi est de guider les âmes dans leur contemplation du Sauveur, afin de s’unir à Lui et d’être transformées en Lui. Ce que Sœur Aimée a écrit, elle l’a vécu. Cette transformation, Jésus Lui-même l’opère en elle, la faisant participer à ses souffrances. C’est ainsi qu’en écrivant « Jésus au désert », elle souffre d’une faim qui ne s’apaise que lorsqu’elle arrive au repas servi par les Anges. En écrivant la Passion, elle ressent dans son corps les meurtrissures de la flagellation, du couronnement d’épines et du portement de croix, tant qu’elle se demande si elle pourra terminer. Son épuisement est à son comble. Enfin le 15 octobre 1869, elle met le sceau à son œuvre par un résumé de la vie de Notre Seigneur dans l’Eucharistie. Elle espère alors que son travail étant accompli, le Ciel va s’ouvrir pour elle. Mais Jésus lui fait comprendre qu’il manque encore en elle certains traits de ressemblance avec Lui, « Non pas mourir, mais souffrir », s’écrie-t-elle alors.
Son mal ayant empiré en 1873, sa Prieure juge nécessaire qu’elle révise ses écrits avant de disparaître. Malgré la fièvre, malgré la toux continuelle, Sœur Aimée poursuit donc sa tâche. Sa transformation en Celui qu’elle aime s’achève ainsi par de nouvelles souffrances. Peu avant sa mort, elle dit, à la suite d’une faveur de Notre Seigneur : « Je me vis toute remplie de Lui-même et toute transformée en Lui », mais dans son humilité elle affirme cependant : « Je suis fort dénuée de ressources pour prier, souvent je me contente de répéter : Mon Dieu, je ne suis qu’un néant devant Vous ! Telle est fréquemment mon oraison, mais c’est une de celles où mon Dieu s’abaisse davantage avec moi et me fait plus de caresses. Un père ne caresse pas son enfant quand il est grand, mais quand il est tout petit. »
La mort de Jésus fut la plus humiliante. Allait-il refuser à Sœur Aimée cette dernière conformité ? Désireux de voir jusqu’où va sa vertu et de s’assurer de l’esprit qui l’a conduite pendant sa vie, le Supérieur de la communauté, venu lui administrer les derniers sacrements, la traite sévèrement. Puis, interminable pour la mourante est l’attente de la rencontre tant désirée. « Il ne vient pas, Il ne vient pas, soupire-t-elle, oh ! quand donc, quand donc… Je l’appelle, Il ne vient pas. » C’est au matin du 4 mai 1874 que Celui qu’elle a si passionnément aimé sur terre vient enfin la chercher. Dans un de ses cantiques, Sœur Aimée avait résumé ainsi sa vie :
« Mon Bien-Aimé m’a dépossédée de moi pour que je fusse plus possédée de Lui. Je suis la conquête de son amour ! Il est en moi comme un fleuve de feu, entraînant mon âme dans l’océan de l’amour infini qui est Dieu. »
Pour approfondir : www.soeurmarieaimeedejesus.carmel-creteil.org
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